Les configurations actuelles du monde du travail induisent une amplification de certaines inégalités dites structurelles existant entre des groupes d’acteurs ou des catégories différentes ainsi que l’apparition de nouvelles formes d’inégalités qu’on peut qualifier de « fractales », et qui naissent au sein d’un groupe dont les caractéristiques sont relativement homogènes. Notre développement a pour but la mise en relief et l’analyse des causes de ces deux types de disparités. Dans un premier temps, nous aborderons les inégalités structurelles produites à partir du traitement différencié des individus en fonction du statut d’emploi de même que leurs causes. Trois formes d’inégalités relatives au statut d’emploi et dont les soubassements sont liés en grande partie au domaine du droit du travail seront présentées : les inégalités issues de l’exclusion des travailleurs atypiques de la protection sociale et celles issues du traitement différencié dans l’exercice de ce travail. Dans un second temps, nous analyserons les inégalités fractales qui tiennent source à l’intérieur d’une même catégorie de personnes auparavant considérées comme homogènes, et proposerons une analyse fondée sur la remise en cause des causes de ces inégalités pour un développement international.
C’est un secret de polichinelle que les inégalités sont redevenues un problème suscitant beaucoup d’encres et de salives dans les sociétés africaines, tant dans l’espace public que dans le milieu familial. Alors que les visions à long terme indiquaient une réduction globale des inégalités entre les sexes, le tableau de bord à ce sujet pour les 20 dernières années en Afrique indique le renforcement de ces inégalités dans plusieurs domaines comme celui du revenu, de l’emploi et de l’éducation. En effet, l’augmentation drastique des inégalités entre l’homme et la femme, mesurées sur la base du revenu et plus globalement, de leur niveau de vie à l’intérieur d’une société, ne peut être dissociée de la faible riposte des gouvernements face à ce phénomène. Malgré les nombreuses actions des acteurs de la société civile pour décourager le mal, le regard silencieux des autorités gouvernementales africaines constitue une muraille qui conforte le mal-être au grand malheur des jeunes filles et femmes. La globalisation des entreprises, appuyée sur celle numérique et l’effondrement des coûts de transport grâce aux containers, est la cause majeure de la croissance des disparités dans chaque pays, tandis qu’elle a incontestablement contribué à la réduction des inégalités entre pays. Dans la plupart des cas en Afrique, les grévistes ont toujours fait précéder leurs grèves à la comparaison de leurs conditions de vie précaires à celles des classes dirigeantes du pays. A l’occasion d’une manifestation à Bobo-Dioulasso, capitale économique du Burkina-Faso par exemple, un responsable syndical a dénoncé la “paupérisation généralisée” des travailleurs, comparée aux modes de vie ostentatoires et scandaleux des hauts responsables gouvernementaux.
La volonté d’accroître la participation et d’atteindre un consensus national sur la réduction de la misère cache d’importants conflits d’intérêts, et risque de n’apporter grand-chose aux plus défavorisés. Il est en outre certain que ces choix sont lourdement contestés dans la plupart des pays pauvres ou pays en voie de développement, et qu’ils ont peu de chance de faire l’objet d’un consensus. Pour autant, l’analyse politique prospective ne doit pas seulement servir à expliquer pourquoi les objectifs des politiques publiques en faveur de l’élimination de la pauvreté et de l’absence de parité sont difficiles à atteindre, mais aussi à explorer les opportunités réelles qui existent pour de telles politiques et à proposer des stratégies d’intervention, notamment face aux oppositions qu’elles peuvent susciter. Tout en intégrant les questions de « tolérance aux inégalités », de cohésion sociale ainsi que de répression politique, le choix en faveur de certaines organisations gagnerait à être plus clairement affiché. Une stratégie d’action devrait être définie en conséquence, à l’image de ce qui se fait.
Les inégalités issues de l’exclusion de la protection sociale
Dans la société africaine, comme dans l’ensemble des sociétés occidentales, l’édifice de la protection sociale et de la sécurité d’emploi s’est érigé autour du rattachement du travailleur à l’entreprise dans une relation d’emploi. Cette option de relation s’inscrit dans la continuité et s’appuie sur un principe d’échange en vertu duquel le salarié (l’homme ou la femme) consent à la subordination dans l’exécution du travail en retour d’une rémunération directe, ou sous forme de sécurité ou de protection sociale, tels que les régimes d’assurance complémentaire. Depuis plusieurs années, cette forme d’aménagement de la relation de travail, sur les plans collectifs ou individuels, a assuré une certaine cohésion sociale par sa stabilité et son homogénéité. Si l’on fait abstraction des grands régimes à portée universelle tels que l’assurance-maladie et la sécurité de la vieillesse, la voie d’accès exceptionnelle à la protection sociale réside dans le statut de salarié. C’est ainsi que, pour avoir droit à des conditions de travail convenables, à des prestations d’assurance-emploi, il faut obligatoirement détenir le statut de salarié.
Cependant, l’émergence et l’extension du travail atypique (temps partiel au cours des dernières décennies) ont fait en sorte que ce modèle va de moins en moins avec la réalité du monde du travail africain, tel qu’il existe aujourd’hui. En raison de leurs sexes, beaucoup de femmes en Afrique souffrent quand il s’agit de l’emploi. Tout d’abord elles sont les moins traitées et sont souvent dans des emplois à temps partiels pendant que les hommes sont à temps pleins.
La concurrence entre les entreprises dans un contexte de mondialisation, de montée en force des technologies nouvelles font que l’autonomie plus grande dont jouissent les hommes dans l’exercice de leur fonction dépasse largement celle des femmes.
Les inégalités résultant du traitement différencié des individus dans l’exercice de leur travail
La multiplication des emplois atypiques concoure également à des inégalités de traitement de plus en plus nombreuses entre des personnes exécutant des tâches similaires pour la même firme. En effet, aucune mesure légale n’interdit que des salariés exécutant le même travail bénéficient de conditions de travail différentes, par exemple au chapitre du salaire ou des avantages sociaux, selon qu’ils sont des employés à temps complet ou qu’ils détiennent un autre statut, soit celui de salarié temporaire, de salarié à temps partiel ou autre. De telles inégalités existent, non seulement dans le cadre de relations de travail entre le masculin et le féminin, mais aussi, et ce, en toute légalité, dans certaines conventions collectives.
Les analyses présentées dans ce développement montrent que, dans la situation qui prévaut sur le marché du travail, caractérisée par une hétérogénéité croissante des challenges face à l’emploi, les causes des inégalités fractales et structurelles se complètent réciproquement. Les lois actuelles du travail et les conventions collectives accentuent et maintiennent les inégalités de traitement en fonction du statut d’emploi et du sexe, réduisant ainsi l’inscription des individus dans un collectif et affaiblissant les conditions nécessaires pour ’’faire société ‘’ avec leurs semblables. Ce fait conduit à la « dé-collectivisation » des relations de travail entre les sexes qui prend le contre-pied des formes d’inscription collectives et mène ensuite à une « société des individus au travail » dans laquelle les solidarités se défont et les appartenances collectives se délitent. Elle génère, par ricochet, des inégalités fractales, signes d’une différenciation de plus en plus forte entre des individus appartenant au même groupe et dont la source se trouve dans les transformations récentes du mode d’organisation du travail et de la production.
Les disparités observées et la politique entretiennent des relations d’interdépendance, souvent négatives. « Les inégalités de revenus » et de chance traduisent souvent des disparités en matière d’accès au pouvoir politique, note le rapport du PNUD. Les populations rurales, les pauvres, les femmes, et les groupes ethniques marginalisés sont en partie désavantagés du fait qu’ils ne sont pas souvent bien organisés et que leur influence politique est négligeable. Aussi que à de nombreuses rencontres internationales, ils ne sont pas invités à participer à la prise des décisions importantes, concernant notamment la distribution des ressources économiques et sociales. Les inégalités en matière de pouvoir politique, observent la BM (Banque Mondiale), “débouchent sur la création d’institutions qui perpétuent les inégalités sur les plans du pouvoir politique, de la condition sociale et de la détention des richesses”.
Réorienter les politiques
Dans le but de réduire les inégalités et de concrétiser les « dimensions progressivement distributives du développement à tous les niveaux », les organismes publics doivent privilégier l’insertion politique et sociale de toutes les couches de la société, l’extension des routes et autres infrastructures dans les régions rurales et la formulation de politiques économiques génératrices d’emplois.
Mettre en place des régimes nationaux d’imposition fiscale de manière à ce que les contribuables riches, dont une majorité se soustraient actuellement aux impôts, soient amenés à payer davantage, permettant ainsi de dégager les ressources supplémentaires nécessaires à la lutte contre la misère et la mise en place de services sociaux essentiels.
Il faudrait que les nouvelles politiques consistent à affecter aux malades les plus nécessiteux une part plus importante des dépenses liées à la santé actuellement consacrées aux soins des patients les plus riches.